Baptiste Melgarejo est enseignant spécialisé dans une Ulispro au lycée Henri-Nominé de Sarreguemines en Moselle. Dans cette « unité locale pour l’inclusion scolaire », destinée à permettre à des jeunes en situation de handicap de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire « ordinaire » au sein d’un lycée professionnel, il accueille une dizaine d’élèves de CAP, Bac Pro, Seconde, Première et Terminale de lycée professionnel, tous porteurs de troubles de l’apprentissage variés et complexes.
Son ambition ? Mettre en place une structure numérique innovante pour pallier les fonctions cognitives défaillantes et utiliser les outils digitaux pour réduire la notion de handicap. Voyage au sein d’une Ulis pas comme les autres : une Ulis 3.0 sur iPad.
Tester de nouvelles technologies pour apprendre autrement
Dans l’Ulispro du lycée Henri-Nominé, Baptiste Melgarejo doit répondre à un objectif ambitieux : prendre en compte les besoins particuliers de chaque élève pour assurer la réussite de tous. Les jeunes, âgés de 16 ans à 20 ans, sont porteurs de troubles cognitifs et doivent gérer des difficultés d’apprentissage, une lenteur et une fatigabilité qui les empêche d’envisager une scolarisation individuelle continue dans une classe « ordinaire ». Ils ont besoin de plus de souplesse et de diversité : l’enseignant spécialisé chargé de l’Ulis organise donc leur travail en fonction des indications de leur projet personnalisé de scolarisation.
A Sarreguemines, les élèves de l’Ulispro peuvent travailler dans un espace qui leur est dédié et qui comprend un coin informatique, un FabLab proposant du matériel d’impression 3D et des équipements de prototypage Arduino, un endroit consacré aux échanges ou un autre où ils peuvent se reposer. Un iPad a été mis à la disposition de chacun d’eux. Grâce au logiciel apiKa, Baptiste Melgarejo peut déclencher des activités sur les tablettes, les jeunes peuvent ainsi s’exercer et même partager leur écran sur le tableau blanc interactif.
Concrètement, les iPad ne sont pas attitrés et les élèves ne les ramènent à la maison que ponctuellement : ils sont conservés dans l’établissement, ce qui permet à l’équipe pédagogique de s’assurer que les tablettes sont toujours chargées.
« LE numérique permet des apprentissages différenciées »
Le déploiement de ces outils numériques permet à Baptiste Melgarejo de proposer des méthodes d’apprentissages innovantes : mélange de pédagogie active et de pédagogie de projet. Son inspiration lui vient aussi bien des sciences de l’éducation, avec des références comme le pédagogue français Célestin Freinet, que de l’actualité des neurosciences. C’est en effet les dernières recherches sur le cerveau qui lui permettent de mieux comprendre les différences entre deux élèves porteurs de troubles cognitifs et de mettre en place une pédagogie différenciée.
« Il ne faut pas tout compenser avec le numérique, mais voir comment il peut être en lien avec les outils pédagogiques traditionnels. »
L’objectif, c’est que les élèves puissent être en totale autonomie pour trouver leur place dans des classes « ordinaires », dans lesquelles l’enseignant ne peut pas toujours se soucier de savoir si son cours est adapté ou non aux besoins particuliers.
Pour cela, les élèves utilisent des outils numériques au quotidien. Primzo, par exemple, leur permet d’adapter la police de caractère de l’iPad tandis qu’une autre application leur permet d’écrire avec le doigt sur la tablette. Si un élève doit faire un compte-rendu, explique Baptiste Melgarejo, il peut le réaliser via une capsule vidéo ou une image animée… Dans tous les cas, pas d’obligation d’utiliser une application en particulier : toutes sont à disposition et c’est l’élève qui choisit. Des outils qui, pour l’enseignant, devraient « être présents dans tous les lycées, que les élèves soit en difficulté ou non ».
Vers une « pedagogie numérique »
C’est en s’intéressant à la question de la difficulté d’apprentissage que l’enseignant est arrivé au projet pédagogique qu’il met en place aujourd’hui. Il parle ainsi de « coanimation de l’apprentissage et du savoir » : le professeur n’est plus celui qui apporte la connaissance, mais est là pour faciliter l’apprentissage entre les élèves, qu’ils soient porteurs de handicaps ou neurotypiques. Ainsi, la pédagogie est active puisque l’élève est maître de son apprentissage mais aussi participative et collaborative. Baptiste Melgarejo parle également de « pédagogie numérique » puisque ce type de projet n’est possible qu’avec l’appui des outils digitaux.
Un exemple d’appropriation du numérique ? En pleine recherche de stage, un des élèves de l’Ulispro ne trouvait rien sur les pages jaunes. Sur Facebook, il a vu une photo d’une camionnette de chantier postée par un de ses amis : il a zoomé pour pouvoir lire le numéro de téléphone inscrit sur la carrosserie, a appelé et a obtenu un stage !
« La coopération est la base de notre travail »
Faire cohabiter les élèves de l’Ulispro et les élèves neurotypiques n’est pas toujours simple. Si, entre élèves, le lien se crée plutôt naturellement, il faut néanmoins convaincre les parents, enseignants et éducateurs.
« On entend tout et son contraire. Par exemple, certains articles expliquent que lire sur un iPad juste avant de se coucher n’est pas bon pour le sommeil. Mais, en réalité, ce qui n’est pas bon, c’est la lumière bleue de l’écran : si on baisse l’intensité de l’iPad, on peut s’endormir normalement. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de “neuromythes” ».
Autre crainte répandue : le fait que le remplacement des apprentissages traditionnels par le numérique pousse les élèves à arrêter d’apprendre. Pour Baptiste Melgarejo, c’est plutôt l’inverse :
« Le numérique permet d’externaliser la mémoire et d’arrêter de retenir “bêtement” des enseignements à court terme. Il apprend à aller chercher des documents et à solliciter la mémoire à long terme. »
Pour l’enseignant, il faut donc à la fois gérer des parents qui se posent des questions par rapport à ce qu’ils peuvent voir dans les médias et des enseignants qui n’ont pas confiance dans le numérique à cause des dysfonctionnements trop fréquents du matériel que les établissements leur fournissent. Heureusement, l’usage du smartphone, devenu quasiment incontournable dans leur vie privée, tant à lever les réticences.
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« Les élèves reprennent goût à l’école »
« J’enseigne à des élèves qui ont un niveau très faible par rapport à l’ensemble du système scolaire, indique Baptiste Melgarejo. Pourtant, ils peuvent faire des travaux très techniques avec des élèves de terminale par exemple. » Et, comme il faut bien communiquer, les élèves qui sont en difficulté peuvent en solliciter d’autres pour les aider, via les outils numériques ou non : c’est le début de la coopération.
« Au départ, c’est très difficile : les élèves se sentent rabaissés car ils ne savent pas lire ou écrire. Mais, au bout de deux ou trois mois, ils n’ont plus peur du regard des autres. En neuroscience, on parle d’effet Pygmalion : si l’on vous dit tous les jours que vous êtes incompétent, vous allez le devenir… Et l’inverse est vrai aussi. »
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