Olivier de Fresnoye est un membre actif de La Paillasse, un laboratoire ouvert et communautaire implanté à Paris, au cœur du 2e arrondissement. C’est également (avec Medhi Benchoufi, médecin épidémiologiste) le coordinateur d’Epidemium. Mené en partenariat avec Roche, un laboratoire pharmaceutique essentiellement dédié au cancer, ce programme de recherche participatif contre le cancer se base sur la technologie Big data. Ainsi, avec Challenge4Cancer, un data challenge, des équipes pluridisciplinaires sont invitées à développer des projets innovants à partir des outils numériques et des jeux de données ouvertes mis à leur disposition par La Paillasse.
Comment fonctionne La Paillasse ? Comment le digital et l’open innovation peuvent-ils faire avancer la recherche contre le cancer ? Olivier de Fresnoye a répondu à nos questions.
La Paillasse, laboratoire communautaire ouvert et transdisciplinaire
La Paillasse, qu’est-ce que c’est ?
La Paillasse est un laboratoire communautaire constitué de communautés scientifiques mais aussi non-scientifiques. En effet, nous considérons que les passionnés de certains domaines ne sont pas forcément des scientifiques dans la vie…. Et ce que n’est pas parce qu’ils n’occupent pas un poste de chercheur dans un laboratoire qu’ils ne peuvent pas être investis et pertinents sur tout un ensemble de sujets.
« Beaucoup de jeunes scientifiques – ou moins jeunes – ont des projets mais n’ont pas accès aux laboratoires des universités et n’ont pas forcément les moyens d’avoir des équipements qui coûtent cher. »
La mission de La Paillasse, c’est de mettre des ressources à disposition de ces communautés. Il peut s’agir de ressources physiques : aujourd’hui, nous avons à peu près 800 mètres carré disponibles avec notamment des laboratoires qui peuvent permettre à des gens qui voudraient expérimenter des idées dans le domaine de la biologie de faire leurs premières manipulations. Nous avons aussi l’équivalent d’un Fab Lab incluant du matériel de prototypage : de l’impression 3D à la découpe laser en passant par tout ce qui peut être prototypage électronique… Tous ces équipements, assez onéreux, sont partagés entre les membres de la communauté.
La Paillasse, c’est aussi un espace de rencontres, d’évènements et de conférences où les gens peuvent venir participer, discuter, proposer, échanger ou même construire leur projet en faisant appel à des compétences complémentaires.
Plusieurs terminologies peuvent être utilisées pour définir des espaces comme le nôtre : hacklab, hackerspace ou même tiers-lieu puisque ce n’est ni un lieu académique, ni un lieu privé, ni un lieu public. Concrètement, nous sommes une structure associative avec des systèmes de décision démocratiques et la possibilité pour tout un chacun de participer. Notre concept se diffuse petit à petit : il existe une Paillasse à Lyon, une aux Philippines et d’autres sont en préparation, notamment autour de certaines thématiques précises, comme La Paillasse Océan qui sera consacrée aux questions relatives aux sciences de la mer.
Pouvez-vous nous parler du programme Epidemium ?
Epidemium, c’est un programme que je coordonne avec Medhi Benchoufi, médecin de santé publique et agrégé de mathématiques. Il s’agit d’un programme de recherche scientifique qui a vocation à déboucher sur un ou plusieurs projets concrets. Nous ne sommes pas forcément dans la partie fondamentale de la recherche, plutôt dans la partie applicative.
Comme un programme de recherche plus « classique », Epidemium se déroule en deux temps : une phase de préparation suivie d’une phase d’appels à projets et de challenges, l’objectif étant d’explorer ensemble une manière nouvelle d’appréhender le cancer d’un point de vue épidémiologique. L’un des axes forts et fondateurs du programme, c’est l’ouverture. Nous travaillons autour de l’open access et de l’open science, avec des open datas, sur des solutions qui vont être proposées en open source.
« L’idée, c’est vraiment d’être tout à l’ouverture, au partage et au collaboratif. Pour ça, nous utilisons un moteur fort, qui est une pierre angulaire et l’identité de La Paillasse : le levier communautaire. »
L’intelligence collective pour penser « outside the box »
Le programme Epidemium s’installe tout naturellement dans le concept de La Paillasse : l’utilisation des technologies Big Data dans le domaine de l’épidémiologie du cancer avec une dynamique communautaire d’ouverture. Dans le cadre d’Epidemium, nous mettons à disposition des participants un certain nombre de ressources. Là, ce ne sont pas des laboratoires, mais des clusters de calcul ou des environnements de data analyse.
Au-delà des ressources techniques et scientifiques, nous proposons aussi des ressources communautaires : chacun est en contact avec tout le reste de la communauté qu’on constitue et qu’on anime. Ça nous permet de créer une émulation, une dynamique d’intelligence collective, avec des profils qui n’ont pas forcément d’expérience dans le domaine de la santé, mais qui peuvent penser « outside the box ».
Le programme Epidemium est-il axé autour du Big Data ?
Nous travaillons effectivement à partir d’une approche Big Data, c’est-à-dire en croisant des jeux de données très importants et qui font forcément appel, étant donné la nature de ces datas, à une transdisciplinarité.
« Un développeur seul dans son coin ne va pas y arriver. Il faut des connaissances en développement informatique, en statistique, en algorithmie prédictive, en machine learning, en deep learning … Ce sont des compétences qui aujourd’hui ont tendance à être distribuées sur un ensemble de profils. »
Nous avons aussi besoin de compétences médicales pour éviter que les études, les analyses ou les prototypes algorithmiques soient remplis de biais méthodologiques. Le concept, c’est vraiment de constituer une communauté. Aujourd’hui, nous avons un peu plus de 200 inscrits au challenge qui nous permettra de faire émerger, récompenser et accompagner les meilleurs projets vers une implémentation ou une mise en production. Nous sommes donc vraiment au stade de l’étape de recherche.
L’innovation ne se fait plus entre les murs de l’entreprise
Collaborez-vous fréquemment avec des laboratoires ou de grands groupes ?
Toutes les semaines ou presque, des entreprises viennent nous voir.
« Beaucoup d’entreprises se posent des questions et commencent à comprendre que l’innovation ne fera pas à entre leurs murs mais qu’elle se pratique de plus en plus à l’extérieur. C’est une dynamique intéressante car elle permet d’intégrer à la fois des compétences diverses mais aussi des bénéficiaires ou futurs consommateurs dans le développement des nouvelles solutions. »
Nous avons travaillé avec le ministère de la Santé. Quand Etalab a publié le jeu de données ouvert de l’open DAMIR – c’est-à-dire un extrait des données de la Cnam – un hackathon a été organisé dans les locaux de La Paillasse. Nous avons aussi fait un hackathon avec la MAIF, lors duquel nous avons exploré des solutions collaboratives communautaires.
Nous avons également conclu plusieurs partenariats. Pour Epidemium par exemple, nous travaillons avec TeraLab une structure de calcul de big data qui fait partie de l’institut Mines-Télécom, des partenaires techniques comme l’outil d’intelligence artificielle HyperCube ou l’application prédictive Dataiku, mais aussi Cancer Campus, le grand campus autour du cancer développé à l’Institut Gustave Roussy, Wikimédia France, Cap Digital ou encore des entreprises et des start-ups avec des technologies intéressantes. On discute aussi avec plusieurs grands groupes du CAC 40 sur des projets à réaliser.
Une dynamique « open », porteuse de découvertes
Comment envisagez-vous les questions liées à la propriété intellectuelle ?
Quand la Finlande était à la tête de la Commission européenne, elle a mis en place des Living labs dans lesquels des chercheurs et des entreprises travaillaient ensemble sur de l’innovation dans différents domaines, notamment celui de la santé. Leur plus gros problème concernait la propriété intellectuelle.
Nous, nous prenons les choses de manière très différente puisque nous n’avons ni propriété, ni brevets. La valeur repose sur la possibilité de tout un chacun de réutiliser les technologies, elle est donc complètement distribuée. A chacun la possibilité de se réapproprier les technologies créées ensemble pour essayer de les faire vivre en fonction de ses compétences et expertise.
« La dynamique d’open innovation peut être porteuse à la fois de valeur mais aussi de découvertes, de nouveaux horizons, de nouvelles manières de faire mais aussi des nouvelles approches et de nouveaux modes de coopération transdisciplinaires. »
Et concernant la confidentialité et la gestion des données ?
Sur Epidemium, on l’a géré assez facilement puisque nous travaillons uniquement sur des données ouvertes. Comme nous sommes dans l’épidémiologie, nous sommes sur des datas populationnelles et non individuelles.
Nous sommes vraiment dans la phase amont, la phase de prototypage, d’exploration et de recherche. Nous pouvons donc commencer à développer une algorithmie prédictive sur le cancer sur la base de données agrégées et ouvertes et, dans un deuxième temps – si le projet satisfait un certain nombre de critères – avoir accès, dans des laboratoires, à des données complètement privées.
Quand on fait des essais cliniques, parfois les patients acceptent que leurs données puissent être utilisées pour de la recherche. Dans le cadre des projets que nous faisons émerger, nous pouvons accéder à ces données-là, en nouant des partenariats avec des laboratoires de recherche qui y ont accès et en mettant en place un encadrement juridique et légal.
S’ouvrir pour innover et mieux avancer ensemble ? C’est aussi ça l’esprit du mouvement #digitalforallnow. Avec les outils numériques, les possibilités de collaboration se démultiplient : tout va plus vite et les différents écosystèmes se décloisonnent. Pour en savoir plus sur ce sujet, n’hésitez pas à consulter nos articles sur l’open innovation.
==> En savoir plus sur Epidemium et La Paillasse.
==> Découvrir d’autres portraits de digital makers du secteur de la santé :
– Lionel Reichardt, Pharmageek : » A la notion de Quantified Self, je préfère celle de Modified Self »
– Sébastien Bachem, Programme SI-SAMU : Urgence sur le digital !
Crédit photo : Mitch Altman / Flickr.com / Licence CC BY-SA 2.0